Flux RSS

Flux RSS

Accueil
Accueil   >   Agenda & Brèves   >   Brèves : AAC Le débat public : acteurs, structuration, ressource

AAC Le débat public : acteurs, structuration, ressource

30.07.2018

Le laboratoire SAGE (UMR 7363) et l'université de Strasbourg organisent les 16 et 17 mai 2019
un colloque sur le thème de la structuration du 'débat public.

Les propositions de communications sont à adresser à francisco.roabastos@unistra.fr et philippe.juhem@misha.fr au plus tard le 15 septembre 2018.

Appel à communication

Le « débat public » : acteurs, structuration, ressources

16 et 17 mai 2019

Dans les États qui ont recours à des élections concurrentielles pour réguler l’action publique, s’instaure une forme d’échange argumentatif, conflictuel et permanent, le « débat public », dans lequel les options de gouvernement (et les « problèmes publics » auxquels elles répondent), la hiérarchie des priorités et les catégories pertinentes pour penser la société sont énoncées, expliquées, critiquées, réexaminées par des acteurs s’exprimant à des titres divers : élus, hauts fonctionnaires, cadres partisans, journalistes, représentants d’intérêts organisés, militants de la société civile, experts, chercheurs, etc.

Ce « débat public », qui manifeste et (ré)actualise les clivages du champ politique, emprunte des formes et des voies multiples : discours et déclarations publiques gouvernementales, débats parlementaires publicisés, « coups » et manœuvres partisanes médiatisées, talk shows télévisés et « matinales » radiodiffusées, flux continu des chaines d’information, commentaires journalistiques, analyses et tribunes dans les quotidiens, pétitions et manifestations, vidéos sur Youtube, essais publiés sur la politique, l’économie, la société, empilements d’avis sur les réseaux sociaux, etc. Autant de prises de position à visée électorale qui se répondent et s’entrecroisent, contribuant à structurer le « débat public ». Cette production de discours interdépendants apparaît fortement institutionnalisée, fondée sur la conjonction des activités d’assemblées élues (Chambre, Sénat), d’administrations ministérielles, d’intérêts organisés (partenaires sociaux, partis, think tanks, etc.) et d’organisations commerciales (grandes rédactions de télévision ou de radio, instituts de sondages, etc.). Son économie est mixte et son chiffre d’affaire cumulé, considérable.

Les chances d’intervention des différents protagonistes dans ce débat sont évidemment très inégales, du fait de l’asymétrie de leurs ressources : chaque acteur, institution ou organisation intervient en fonction de ses moyens, du nombre de ses porte-paroles, de son degré de « professionnalisation » et du type de crédit qui lui est accordé (maitrise des dossiers par les ministres, sérieux et adaptabilité des experts, réputation de sincérité des porteurs de cause, etc.). Les arènes publiques voient ainsi s’établir, pour chaque sujet en débat, des rapports de force énonciatifs qui sont les effets émergents, jamais entièrement prévisibles ex ante, des convergences ou divergences successives des différents porte-paroles, experts ou commentateurs qui s’y investissent, par stratégie, professionnalisme ou engagement.

C’est dans l’arène concurrentielle que constitue le « débat public » que les acteurs, les institutions et les intérêts divergents entrent en collision et en confrontation, dans un jeu d’énonciation compétitif au cours duquel émerge une perception dominante des problèmes publics que l’action publique ne peut pas ne pas prendre en compte, quitte à courir le risque de s’en éloigner. Ce « débat public » est par ailleurs contraignant pour ses participants, exige l’expression des acteurs de l’opposition comme de ceux du gouvernement, et peut donc aussi être analysé comme un dispositif d’encadrement et de gouvernementalité qui fabrique continument des « majorités énonciatives ». En ce sens, l’un des objectifs du colloque sera de déterminer dans quelle mesure exacte le « débat public », dans les formes qu’il revêt, est dépendant de l’État, de ses institutions, de ses administrations, de son financement, des positions qu’il autorise et régule (nombre de chaines publiques et privées, cahiers des charges imposant une part d’information, etc.), ou dans quelle mesure au contraire les acteurs « non étatiques » et « privés » peuvent influer sur sa structuration.

Cet appel à communication entend ainsi inviter les participants à combiner une analyse des intérêts matériels des agents et des institutions, avec une sociologie des stratégies politiques des acteurs partisans ou non partisans mais aussi avec une analyse structurale des espaces sociaux d’énonciation qui tendent à définir les cadres, les rythmes et les orientations des discours et des positionnements.

Bien évidemment le « débat public » comme objet scientifique est sécant à des objets déjà bien constitués des sciences sociales : le jeu électoral, le système des partis, la communication politique, l’analyse des discours, la sociologie du journalisme et des médias, les idéologies, l’action publique, les sondages, l’expertise, l’étude des controverses partisanes, etc. Cependant, cet appel à communication invite à décloisonner les travaux sur ces objets, afin de proposer une analyse transversale visant à saisir comment les acteurs et les institutions sont les stratèges apparents de la structuration d’un « débat public » qui tout à la fois les dépasse et les contraint. Il s’agit ainsi de faire un pas de côté pour dénaturaliser nos catégories usuelles d’entendement politique, pour analyser comment ces catégories sont construites et institutionnalisées : en tant que résultat conflictuel émergeant dans le cours du jeu énonciatif concurrentiel qu’est le « débat public », elles correspondent d’ailleurs rarement aux positions de départ affichées par certains acteurs, y compris les mieux positionnés ou les mieux dotés.

L’objectif de ce colloque sera donc d’explorer les logiques d’organisation et de déroulement des débats publics, à travers leur structuration institutionnelle, leurs protagonistes ou leurs péripéties. Plusieurs terrains, objets et approches sont bien sûr envisageables qui pourraient notamment porter, sans aucun souci d’exhaustivité, sur les thématiques suivantes :

  • les processus sociohistoriques de constitution des arènes publiques du débat dans les formes qu’il revêt (scénarisation des débats parlementaires, débats à la télévision, instauration et impact des chaines de télévision en continu, instauration des pages débats/horizons dans la presse, etc.).
  • le rôle et la production des acteurs politiques, partis, élus, comme pourvoyeurs de débats publics (choix stratégique de thématiques politiques dans le cadre du débat public à visée électorale, « coups » et revirements énonciatifs…).
  • le rôle et les discours des membres de la haute fonction publique comme producteurs routinisés de discours, de diagnostics, de focalisation sur des problèmes particuliers. Les rapports officiels, la littérature grise, les diagnostics internes publics ou non publics peuvent être des objets permettant de comprendre la carrière souterraine des débats publics, publiquement endossés ensuite par des acteurs (ministres, candidats, partis, etc.) qui n’en sont pas les initiateurs.
  • les effets de l’appartenance au secteur privé d’une partie des arènes du débat public : chaines de télévisions et radios privées, entreprises de presse… La concentration des rédactions dans un nombre limité de groupes de médias a-t-elle des effets sur la répartition des points de vue énoncés durant le débat public, par exemple ?
  • les modalités de la participation des arènes journalistes et des rédactions aux débats publics, à travers la couverture journalistique ordinaire des déclarations, l’éditorialisation, les tribunes ou les interviews permettant la publication d’énoncés qui ne sont pas directement endossés par les rédactions.
  • le rôle et les fonctions des experts (des administrations, des universitaires, des partis) pour délimiter les contours argumentatifs du débat public et « armer discursivement » les intervenants.
  • l’activité croissante des think tanks (Institut Montaigne, Coe-Rexecode, Terra Nova, IFRAP, Institut de l’entreprise, fondation Nicolas Hulot, etc.) dans la production d’argumentations et d’expertises opposables aux acteurs publics.
  • la mise en évidence des rapports de force entre les groupes d’énonciateurs durant une séquence du débat public, et les éventuels effets de synergie des interventions convergentes dans le débat public d’agents occupant des positions différentes (élus, journalistes, experts, porteurs de causes, etc.).
  • les caractéristiques et les trajectoires du personnel auxiliaire des agents des entrepreneurs du débat public (assistants parlementaires, spécialistes de communication politique, sondeurs).
  • des séquences particulières du débat public (carrière publique d’une réforme gouvernementale, débats législatifs ordinaires, polémiques, scandales, mouvements sociaux ou étudiants), éventuellement démontrant une inflexion de l’orientation des discours dans le cours de débat.
  • les modalités de construction de l’opinion par sondage dans le cours même des débats publics.
  • les maisons d’éditions et les essayistes sur les questions d’économie ou de société comme pourvoyeurs de contributions plus substantielles aux débats publics (l’euro, la dette, les inégalités, la compétitivité, la laïcité, les fractures sociales, etc.).
  • les organisations de la « société civile », leur professionnalisation, leurs efforts pour apparaître dans les médias ou être écoutés des pouvoirs publics. Les effets des conditions de leur financement dans leur niveau d’implication dans le débat public.
  • l’analyse de « problèmes sans débat », de questions qui suscitent des polémiques dans certains pays mais qui, en France, ne sont investis par aucune institution ou acteurs publics.
  • la dimension transnationale du « débat public », avec l’importance grandissante des espaces argumentatifs « européens » et « communautaires » et l’institutionnalisation d’acteurs spécialisés et professionnalisés dans la production de discours politiques adaptés à ces arènes (Parlement européen, élections européennes, déclarations publiques lors des Conseils européens, mobilisations transnationales d’experts ou d’organisations de la société civile…).

Une attention particulière sera apportée aux contributions qui proposeront une étude empirique tentant d’articuler plusieurs des questionnements évoqués dans cet appel. Les communications proposant des éléments de comparaison entre la structuration du « débat public » dans l’espace français et dans d’autres espaces nationaux, mais aussi transnationaux, sont également bienvenues.


Bibliographie

Philippe Aldrin, Nicolas Hubé, Caroline Olivier-Yaniv, Jean-Michel Hutard, Les mondes de la communication publique. Légitimation et fabrique symbolique du politique, PUR, 2014.

Romain Badouard, Clément Mabi et Laurence Monnoyer-Smith (coord.), « Arènes du débat public », Questions de communication, n° 30, 2016.

Yannick Barthe et al., Au cœur des controverses. Des sciences à l’action, Actes Sud, 2015.

Damien de Blic, « ‘’Le scandale financier du siècle, ça ne vous intéresse pas ?’’. Difficiles mobilisations autour du Crédit lyonnais », Politix, n° 52, 2000, pp. 157-181.

Pierre Bourdieu, « Le langage autorisé », Actes de la recherche en sciences sociales, 1/5-6, 1975, p. 183-190.

Pierre Bourdieu, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », dans Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, p. 100-133.

Aurélie Campana, Emmanuel Henry, Jay Rowell, La construction des problèmes publics en Europe. Emergence, formulation et mise en instrument, Strasbourg, PUS, 2007

Patrick Champagne, Faire l’Opinion, Minuit, 1990.

Michel Foucault, « Il faut défendre la société » (cours 1976), Le Seuil/Gallimard, 2007.

Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975.

Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969.

Bastien François et Eric Neveu, Espaces publics Mosaïques, PUR, 1999.

Vincent Goulet, Médias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, INA éd., 2010.

Jürgen Habermas, L’espace public, Payot, 1978 (éd. orig. 1962).

Philippe Juhem et Julie Sedel, Agir par la parole. Porte-paroles et asymétries de l'espace public, PUR, 2016.

Nicolas Kaciaf, Les pages politiques. Histoire du journalisme politique dans la presse française (1945-2006), PUR, 2013.

Alice Krieg-Planque et Claire Oger, « Discours institutionnels. Perspectives pour les sciences de la communication », Mots. Les langages du politique, n° 94, 2010, p. 91-96

Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social », in M Grawitz et J. Leca, Traité de science politique, 1984.

Michèle Monte et Claire Oger, « La construction de l’autorité en contexte. L’effacement du dissensus dans les discours institutionnels », Mots. Les langages du politique, 2015, n°107, p. 5-18.

Jérémy Nollet, « L’emprise du journalisme sur les catégories d’action publique. Le cadrage médiatique de la crise de la vache folle et ses usages dans le champ bureaucratique », Questions de communication, n° 27, 2015, p. 21-39.

Caroline Ollivier-Yaniv et Michael Rinn, Communication de l’État et gouvernement du social : pour une société parfaite ?, PUG, 2009.

Max Weber, Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996.

Calendrier

  • Colloque : 16 et 17 Mai 2019
  • Propositions de communication (1 page à 1 page et demi) à envoyer avant le 15 septembre 2018.
  • Réponse le 30 septembre 2018.

Responsables scientifiques : Philippe Juhem, Francisco Roa Bastos.

francisco.roabastos@unistra.fr / philippe.juhem@misha.fr