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Marc-Emmanuel Grandgeorge
[Version intégrale en ligne] Techniques & Culture, 78, 2022, n. s. « Mécaniques rituelles », dir. par Sébastien Galliot, Frédéric Joulian, Pierre Lemonnier, suppléments au n. 78, mis en ligne le 15/12/2022.
doi.org/10.4000/tc.17867
[Version abrégée imprimée, texte différent, accès restreint] Techniques & Culture, 78, 2022, n. s. « Mécaniques rituelles », dir. par Sébastien Galliot, Frédéric Joulian, Pierre Lemonnier, p. 66-69.
Le bwiti forme au Gabon un ensemble complexe de sociétés initiatiques à secrets, principalement masculines, que l’on peut définir en tant que religion, culte des ancêtres et des génies fondateurs et rituel à vocation thérapeutique et divinatoire basée sur la manducation ritualisée de râpures d’écorces de la racine d’iboga (Tabernanthe iboga, Baillon). Ses initiés, les nganga, sont des devins et des guérisseurs détenteurs de savoirs en ethnomédecine, ethnobotanique et ethnozoologie. Les sociétés initiatiques liées au bwiti comptent de nombreuses branches et sous-branches avec leurs spécificités propres. D’origine mitsogho, le bwiti est aujourd’hui pratiqué par des groupes ethnolinguistiques différents. Cet article concerne un aspect du bwiti de la branche misökö, sous-branche assenguedia, société initiatique inédite étudiée pour la première fois par l’auteur dans la province du Moyen-Ogooué. Contrairement à d’autres formes de bwiti misökö déjà documentées par d’autres auteurs, l’utilisation systématique de râpures de crâne humain dans les rituels y est prohibée, remplacée par des éléments végétaux. Il présente la chaîne opératoire de fabrication du « serpent », élément principal du rituel thérapeutique dit de la « coupure de corde », spécifique à la branche misökö. Aucune étude approfondie n’y a encore été consacrée alors qu’il est au cœur de la vie quotidienne des nganga, de façon hebdomadaire ou pluri-hebdomadaire. Cette action rituelle obligée de la « coupure de corde » est la première étape de tout processus thérapeutique quel que soit le mal qui « enserre » un malade venu consulter un nganga. Ne pas la mettre en œuvre pourrait avoir de graves conséquences pour le malade car, sans elle, malgré les soins prodigués, la maladie resterait « attachée » à lui et reviendrait périodiquement. Il faut donc couper ce « lien » entre elle et le patient, au moment du traitement que le nganga juge opportun : le patient doit avoir assez de force pour endurer cette épreuve afin de se débarrasser définitivement du mal. Une veillée publique est organisée à cet effet. Du fait du secret couvrant une part des rituels, les séquences ouvertes au public ne montrent que le produit final. Mais c’est en amont et dans les coulisses, hors du regard des non-initiés, que sont préparés les ingrédients nécessaires, sous la forme d’un serpent allégorique appelé « corde », symbolisé par le montage de différents matériaux agrégés et supposé posséder la capacité d’agir sur un plan métaphysique. La chaîne opératoire complète de ce « serpent » est ici présentée, de sa fabrication à son utilisation, incluant la description des gestes et chants rituels mis en œuvre, en soulignant les relations d’interdépendance entre les différents éléments, acteurs et actions qui font l’efficacité du dispositif.