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Journée d’étude organisée par le groupe de recherche sur l’Union européenne (GrUE) de l’Association française de science politique (AFSP)
Jeudi 1er février 2018
Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe SAGE - Université de Strasbourg/CNRS
Samuel B.H. Faure, Vincent Lebrou, Francisco Roa Bastos
Les logiques de différenciation de l’intégration européenne désignent l’ensemble des variations dont les politiques publiques communautaires sont susceptibles de faire l’objet. Celles-ci sont tout d’abord territoriales : elles concernent alors les adaptations relatives au périmètre de mise en œuvre des politiques européennes (Brexit, zone euro, espace Schengen, etc). Elles peuvent également renvoyer au degré variable de leur intégration politico-institutionnelle (politique monétaire, politique agricole commune, politique de défense, etc). Au cours des dernières années, ces logiques de différenciation ont été progressivement mobilisées dans le discours politique comme un outil permettant de surmonter les crises que traverse l’Union européenne (UE) depuis le début des années 1990 (Stubb, 2014). Elles prennent alors la forme de stratégies, idées et discours politiques consistant à valoriser le développement d’une « Europe à géométrie variable » ou d’une « Europe à la carte »[1]. Partant du constat qu’elles sont devenues à la fois un mot d’ordre politique et un objet de controverse académique, cette journée d’étude entend constituer un espace de réflexion autour de cette question des logiques de différenciation de l’intégration européenne. L’objectif consiste à la fois à dresser un bilan critique de la littérature relative à cette question tout en interrogeant les conditions politiques et sociales d’un processus communautaire différencié. L’ensemble des chercheurs en sciences sociales (économistes, historiens, sociologues, anthropologues) dont les recherches traitent de cet objet de science politique, sont encouragés à y participer.
Une controverse académique récente pour une notion ancienne et polysémique
Le terme de « différenciation » est au cœur d’une controverse théorique récente qui s’est développée principalement dans la littérature anglo-saxonne sur l’Union européenne (Dyson, Sepos 2010 ; Leufen, Rittberger, Schimmelfennig 2012 ; Adler-Nissen 2014 ; Schimmelfennig, Leufen, Rittberger 2015 ; Chopin, Lequesne 2016 ; Duttle, Holzinger, Malang & al. 2017). Prenant la suite des deux grands débats antérieurs des études européennes, entre le néo-fonctionnalisme et l’intergouvernementalisme, d’une part, et entre les tenants du « gouvernement » (vertical) et ceux de la « gouvernance » (horizontale ou « multi-niveaux ») d’autre part, la littérature sur la différenciation s’est développée comme une nouvelle tentative de conceptualiser la forme politique « singulière » de l’Union européenne (UE). Celle-ci est alors appréhendée comme un système politique à la fois peu centralisé, aux secteurs d’action publique très diversement intégrés et composé de pays membres qui ne participent pas de la même manière à tous ses programmes ou politiques. Au cours du temps, les « différenciations » semblent en effet s’être multipliées au cœur de l’UE : face au choix de l’appartenance pleine ou partielle au marché unique, à l’espace Schengen, à la « zone euro » ou encore aux éventuelles « coopérations renforcées » (fiscale, militaire), les « adhésions différenciées » et les mécanismes d’« opt-out » et d’« opt-in » se sont multipliés au cours de l’histoire de la construction européenne. Ils ont conduit certains chercheurs à conceptualiser l’Europe aujourd’hui comme un espace politique « disjoint » (« disjointed polity », Bartolini 2005), dont les frontières politiques, économiques, territoriales, « culturelles » ne coïncident plus, contrairement au modèle standard et stato-centré du système politique « national ».
L’actualité politique récente, nourrie par les menaces apparentes de dislocation que semblent faire peser sur l’Union européenne, à intervalles réguliers, différentes « crises » (la « crise grecque » et la question de l’euro, le Brexit et l’accès au marché unique, la « crise des migrants » et le rétablissement des frontières intérieures…) explique sans doute en grande partie le développement de cette controverse. Elle a par ailleurs remis à la mode, dans l’espace public et les discours politiques, les notions d’ « Europe à plusieurs vitesses » ou d’Europe « à la carte », et donc la question de la « différenciation » comme processus central de l’intégration européenne. Mais cet usage stratégique de la notion ne date pas d’aujourd’hui, et l’idée a été mobilisée à d’autres moments de l’histoire de l’intégration européenne par différents acteurs politiques, bureaucratiques, économiques, juridiques.
Le terme, on le voit, est difficile à manier, tant ses significations et ses usages peuvent être multiples et renvoyer à des processus très généraux. À la fois mot d’ordre pratique (souvent contradictoire) de différents « entrepreneurs d’Europe » et catégorie d’analyse polysémique de la recherche en études européennes, la « différenciation » reste un concept flou qui court en permanence le risque du « concept stretching » (Sartori 1970), applicable en définitive à toute réalité politique. Mais c’est peut-être aussi dans cette généralité, à condition qu’on parvienne à la spécifier, que réside l’un des intérêts principaux de la notion : ne serait-elle pas une piste supplémentaire permettant de travailler à « décloisonner » un peu plus les études européennes, en montrant qu’on peut et qu’on doit reconnecter l’étude de l’Europe à celle des objets politiques en général (Georgakakis, 2008 ; Weisbein, 2008) ? Tous les Etats et tous les systèmes politiques ne sont-ils pas en définitive des centres de « différenciation politique » ? Bref, faut-il faire de la notion de « différenciation » le fondement d’une vision « sui generis » de l’UE, comme cela a plutôt été le cas jusqu’à aujourd’hui, ou le fondement d’une « normalisation » de l’UE en tant qu’objet politique ?
Le premier objectif de cette journée sera d’apporter une première série de réponses à ces questions. Dans cette optique, il s’agira de ré-interroger cette notion à partir de différentes approches et en se fondant sur des cas empiriques précis, pour examiner les définitions en circulation dans l’espace académique et politique, mais aussi les usages et les effets de ces logiques de différenciation dans la structuration effective de l’Union européenne. Cela permettra d’évaluer collectivement à quelles conditions, et sous quelle forme, la notion de différenciation peut nous aider à mieux comprendre et expliquer les processus politiques observables au sein de l’UE. Cette journée d’étude entend également constituer un espace de réflexion sur la construction et l’évolution des cadres d’analyse du processus communautaire. Dans la lignée de l’hypothèse formulée par Cécile Robert et Antoine Vauchez selon laquelle la construction européenne revêt les traits d’une « coproduction politico-académique » (Robert, Vauchez, 2010), on s’interrogera notamment sur les conditions d’émergence des théories de la différenciation communautaire comme objet de travaux académiques. Les communications sélectionnées pourront par exemple analyser l’articulation entre l’émergence des travaux relatifs à cette question de la différenciation et la situation politique de l’Union européenne, marquée par une série de crises successives et la nécessité de trouver les moyens de les surmonter afin d’éviter tout risque de dislocation.
À rebours des travaux mentionnés plus haut et n’accordant qu’une faible place aux données originales (Holzinger, Schimmelfennig, 2012), cette journée d’étude vise à présenter et discuter de communications qui développent un argument explicatif privilégiant une méthodologie inductive. Dans cette optique, les enquêtes de terrain, de même que les approches comparatives et historiques attentives aux propriétés sociales des acteurs impliquées dans l’élaboration ou la mise en œuvre de politiques différenciées seront privilégiées. Les communications retenues seront structurées autour de trois axes de travail qui ne préjugent pas de la forme définitive que prendra l’organisation de la journée.
Axe 1. Définitions et conditions des logiques de différenciation
Le premier axe de recherche interroge les définitions (quoi ?) et les conditions (pourquoi ?) des logiques de différenciation de l’intégration européenne. Comment définir conceptuellement la notion de « différenciation » ? Quelles réalités politiques et institutionnelles, plus ou moins formalisées et objectivées, recouvre-t-elle ? Peut-on mettre sur le même plan toutes les formes de différenciation observables dans les processus d’intégration européenne ? On pourrait même dire que le processus de différenciation renvoie aux origines du processus communautaire : les « Communautés européennes » ne sont-elles pas avant tout le fruit d’une décision de « différenciation » prise par un petit groupe d’Etats, en 1951 puis en 1957, de mettre en commun un nombre limité de politiques dans le cadre de traités spécifiques ? La CECA, la CEE, Euratom ne sont-elles pas à la fois des organisations différentes et interdépendantes, mais aussi des « Europes différentes » de celle du Conseil de l’Europe créé quelques années plus tôt, sur un autre périmètre ? Les communications s’intégrant dans cet axe pourront ainsi interroger les éventuelles évolutions des enjeux auxquels les logiques de différenciation qui traversent l’histoire de l’UE sont susceptibles de renvoyer. Elles pourront également développer une approche comparative permettant d’interroger les conditions de possibilité de la différenciation dans l’UE : quelles sont les logiques qui permettent de comprendre que deux États membres « similaires » aient pris des décisions dissemblables, le premier en intégrant une politique publique européenne, le second en restant en dehors ? Pourquoi certaines politiques publiques européennes sont-elles plus intégrées que d’autres, et quelles sont les logiques d’évolution de ces différenciations sectorielles au cours du temps ?
Axe 2. Usages et stratégies des logiques de différenciation
Le deuxième axe de recherche questionne les usages et les stratégies (comment ?) que recouvrent les logiques de différenciation de l’intégration européenne. En effet, ce que les acteurs qualifient d’« Europe à géométrie variable » ne constitue pas seulement un cadre réglementaire institutionnel, permettant de rendre plus flexibles les règles communes en vigueur dans l’UE. Elle peut également s’analyser comme le résultat de stratégies politiques et institutionnelles. Les communications se centreront ici sur les usages et les mobilisations que les acteurs individuels et collectifs font de l’« Europe à géométrie variable ».Il s’agira d’analyser ce que représentent ces usages de l’« Europe à géométrie variable » en termes de logiques de différenciation de l’intégration européenne. Elles chercheront à montrer comment la différenciation devient parfois une stratégie permettant par exemple de surmonter d’éventuels blocages institutionnels ou politiques relatifs à la prise de décision, que ce soit au « niveau européen » ou depuis les différents espaces nationaux. La mise en place historique des différents mécanismes d’« opt-out » ou d’ « opt-in » pourraient constituer ici des exemples privilégiés. Les travaux étudiant les instruments bureaucratiques utilisés pour les mettre en œuvre seront aussi au cœur de cet axe. La création de nouvelles structures administratives pour gérer la mise en place d’une politique publique pourra elle aussi faire l’objet d’une attention particulière. L’investigation de ces nouveaux espaces bureaucratiques reposera idéalement sur une analyse des trajectoires des acteurs concernés ainsi que des ressources qu’ils mobilisent dans leur activité quotidienne. Dans cette perspective, ce second axe entend enrichir les questionnements soulevés jusque-là et ne plus seulement envisager la différenciation pour ce qu’elle est et bien davantage pour ce qu’elle dit des transformations de la gouvernance européenne.
Axe 3. Effets des logiques de différenciation
Le troisième axe de recherche réunit des travaux qui portent sur les effets (ou l’absence d’effets) des logiques de différenciation de l’intégration européenne au niveau européen ou au sein des Etats membres. Les communications proposées pour cet axe pourraient s’inscrire dans la continuité des travaux portant sur l’européanisation et ses effets, en montrant comment la structuration « différenciée » de l’UE entraîne des pressions à l’adaptation dans les Etats membres (qu’ils participent ou non à telle politique ou à tel sous-ensemble institutionnel européen) et comment les systèmes étatiques y répondent. Dans cette perspective, cet axe pourrait aussi présenter des communications montrant les divisions et luttes internes aux systèmes nationaux, induites par ces logiques de différenciation, comme par exemple les concurrences entre bénéficiaires potentiels de la politique agricole commune (PAC), des fonds structurels ou de toute autre « politique européenne » dans chaque État membre. Une autre piste qui pourrait être explorée consisterait à se demander quels sont les effets de ces logiques de différenciation sur la « lisibilité » politique de l’UE et, de ce fait, sur l’assignation de la responsabilité politique. Quel est l’effet de la structure « polyarchique » de l’UE sur le « déficit démocratique » ? Par ailleurs, faut-il voir dans les logiques de différenciation, du point de vue de la théorie politique, un risque de dislocation qui déboucherait par exemple aujourd’hui sur le Brexit, ou au contraire une « technologie institutionnelle de sortie de crise » (Dobry 1986) qui permettrait plutôt de contenir ces logiques centrifuges, à l’œuvre dans tout système politique ?
Les propositions exposeront en deux pages maximum (en anglais ou en français) leur communication en précisant leur approche théorique et les données originales mobilisées. Elles indiqueront l’axe auquel elles souhaitent être rattachées prioritairement, ainsi que les coordonnées personnelles et institutionnelles du chercheur. Elles sont à adresser à : samuel.faure@politics.ox.ac.uk, vincent.lebrou@misha.fr et francisco.roabastos@unistra.fr.
Échéance pour l’envoi des propositions | 5 décembre 2017 |
Sélection et réponses aux chercheurs | 15 décembre 2017 |
Envoi des textes de communications | 25 janvier 2018 |
Colloque | 1er février 2018 |
Bibliographie indicative
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