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Au carrefour de l’économie politique, de la sociologie des prix et des études sociales de la finance, se multiplient depuis une quinzaine d’années les travaux portant sur la question de la valeur marchande des choses (biens, marchandises, firmes, actifs financiers). Issues de traditions disciplinaires et théoriques diverses, ces recherches ont en commun la critique de la définition néoclassique de la valeur qui considère celle-ci, tant dans sa version marginaliste que dans celle des marchés efficients, comme préexistante à l’échange et intrinsèque aux biens. En questionnant l’une des lois ordonnatrice de l’économie néoclassique, dont la centralité est comparée par André Orléan à celle de la loi de la gravitation pour la physique newtonienne, ces travaux participent à la mise en cause de l’un des principaux régimes de justification du capitalisme contemporain et à une refondation critique de l’économie. Leur développement et leur visibilité ont partie liée avec les effets sociaux et politiques des crises financières et écologiques de la fin des années 2000. La mise en cause de la capacité des marchés à déterminer la valeur des actifs financiers et le souci grandissant de soustraire certains types de biens communs à leur évaluation marchande ont ainsi nourri les questionnements sociaux sur ce que valent les choses et ce que nous définissons comme une marchandise.
Le développement de cet espace de recherche, au croisement de la sociologie économique et des approches institutionnalistes en économie, participe à l’unification d’un champ des sciences sociales abordant les faits économiques comme des construits historiques, et la valeur marchande des biens en lien avec l’analyse des valeurs morales et culturelles.
Ouvert à l’ensemble des disciplines des sciences sociales, cet appel à contributions espère ouvrir des pistes pour articuler le renouveau des analyses de la valeur à celles du capitalisme. Trois pistes de questionnement seront privilégiées dans ce dossier.
La première piste porte sur les liens entre les processus de détermination de la valeur et d’accumulation de profit. Ceux-ci ont fait l’objet de peu d’investigations empiriques. En sociologie, la prédominance des approches de la valeur par l’analyse des outils et instruments a contribué au délaissement de la question de l’enrichissement. Les croyances, règles et outils qui forment le contexte de la fabrication des prix ont été principalement étudiés en dehors de l’analyse de l’argent qu’ils font circuler. Cette question a en revanche fait l’objet d’investigations théoriques notamment au sein d’approches économiques marxistes contemporaines qui abordent la valeur comme une médiation sociale. À partir d’une réappropriation critique du concept de valeur travail, ces travaux inscrivent la question de la détermination de la valeur dans l’intrigue plus large des rapports sociaux d’exploitation et d’accumulation de capital. Si la discussion de ces résultats sur un plan théorique peut encore être utilement prolongée, c’est aussi sur un plan empirique qu’il serait aujourd'hui heuristique de la conduire, pour saisir comment des modalités locales, situées et instrumentées de fixation de la valeur participent à la constitution de pôles massifs d’accumulation de capital et ainsi à la production des hiérarchies sociales.
La deuxième piste concerne l’imbrication des processus d’évaluation des prix et de production du droit. Au sein de la sociologie économique, les approches institutionnelles des prix ont été peu développées au bénéfice d’approches par les réseaux ou les normes culturelles. De plus, elles se sont davantage focalisées sur les questions de légitimité et de diffusion de modèles institutionnels que sur celles de la production des règles encadrant les actions économiques. En revanche, dans le prolongement d’une perspective institutionnaliste en économie, des travaux issus d’approches telles le néo-institutionnalisme, l’école des conventions, la théorie de la régulation ou le mouvement Law and Organisations, ont étudié l’influence des régulations institutionnelles sur les activités économiques. Contre une définition positiviste du droit pensant la règle comme une contrainte incitative à optimiser par chacun, ils ont développé une conception endogène du droit comme constitutif et encastré dans les activités économiques. Ces perspectives pourraient utilement être mobilisées pour penser les processus de fixation de la valeur et évaluer la place des différentes institutions productrices de droit (les Etats nationaux, les institutions supranationales, les institutions privées, les collectivités territoriales ou les institutions agissant sur une base sectorielle) dans la définition de la valeur des choses.
Enfin, la troisième piste interroge l’articulation de l’analyse de la valeur et du développement de critiques sociales du capitalisme. La structuration institutionnelle des sciences sociales et l’histoire de la sociologie économique et de la sociologie des mobilisations ont conduit à un développement séparé des travaux portant sur l’action collective critique et sur les activités économiques. En dépit de récentes exceptions, peu de travaux articulent a fortiori une analyse de la valeur à celle de la critique sociale. Cette lacune analytique porte à la fois sur les liens concrets qui unissent des formes historiques et situées de fixation de la valeur et de critiques sociales, qui seraient justiciables d’investigations empiriques, et sur les manières de penser ensemble théorie de la valeur et forme de la critique.
En analysant les processus de fixation de la valeur aux prismes du profit, de l’Etat et de la critique, ce dossier vise ainsi à penser ensemble les modes de production de la valeur et le mode de production capitaliste.
Date limite d’envoi des textes : 30 avril 2018
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